Machines à voter, vote électronique : vers des recours pour perte de confiance et rupture d’égalité ?

vendredi 20 avril 2007 par Gilles J. Guglielmi

Les élections nombreuses prévues en 2007
sont l’occasion d’accroître les tentatives
d’adopter des modalités de vote nouvelles
et présentées comme "vote électronique",
à savoir l’utilisation de « machines à voter »
(c’est leur dénomination officielle).
Mais le bilan est globalement négatif et porte
atteinte à la crédibilité du vote.

1. Le régime juridique des machines à voter

En l’état actuel du Code électoral français (art. L. 57-1), les machines à voter peuvent être utilisées dans les bureaux de vote des communes de plus de 3 500 habitants figurant sur une liste arrêtée dans chaque département par le Préfet.
Vu la formulation d’autres articles précisant leur utilisation, on peut interpréter le Code comme imposant le passage aux machines à voter pour l’ensemble d’un bureau de vote.
Rien n’impose à une commune qui use de cette faculté d’équiper tous ses bureaux (il en va différemment de l’élection des sénateurs, où la formulation est plus contraignante et impose implicitement l’équipement par département). Pour l’électeur, toutefois, le problème est le même, car il est affecté à un bureau de vote et un seul, qu’il ne choisit pas. Il ne peut que subir la « technologie de vote » décidée par la commune.
Le règlement technique des machines à voter relève de la compétence du ministère de l’Intérieur.

2. Le caractère vulnérable de ces machines, facteur de doute sérieux sur la sincérité des résultats

Bien évidemment, on pense aux USA et à l’élection de Buchanan en Floride.
18 000 bulletins avaient disparu, le candidat en tête n’avait que 369 voix d’avance, et les machines à voter ne prévoyaient pas de trace papier. Mais les mêmes types de machines qui ont depuis été abandonnées en Floride seront utilisées en France. Plus d’un million d’électeurs - soit 3% des inscrits - seront invités à appuyer sur un bouton pour voter cette année. De nombreux électeurs, suspicieux, pourraient aussi décider de ne pas aller voter.

Depuis plusieurs années, de nombreux experts (par ex. le padawan Nonnenmacher) ont fait savoir que :

1°) les fabricants de machines à voter refusent de divulguer, aux organismes certificateurs, ou au ministère de l’Intérieur, le code source des programmes installés sur les machines.

2°) il est quasi impossible de déceler un bug sur une machine à voter, contrairement à un ordinateur quand il « plante ».

3°) rien ne garantit que le logiciel examiné par les organismes certificateurs lors de la phase d’agrément soit le même que celui réellement installé sur la machine.

4°) un logiciel peut avoir la faculté de s’auto-modifier, par exemple après vérification.

5°) sous condition de relevé des votes enregistrés avant la panne, l’échange standard d’une machine qui s’arrêterait de fonctionner est autorisé en cours de scrutin, rendant ainsi impossible le contrôle effectif de son contenu par les autorités publiques.

3. Le phénomène n’est pas limité à la France

Diverses études françaises ou internationales ont montré que ces machines à voter sont très aisées à pirater ou ne protègent pas le secret du vote. Outre la veille électronique du padawan sur le sujet, on pourra lire :

1°) Le rapport édifiant d’une chercheuse en informatique, Chantal Enguehard, qui fait le tour des questions, pas seulement techniques, que soulèvent ces machines.

2°) La démonstration de l’université de Princeton qu’il est possible de pirater une machine de vote électronique Diebold et de truquer le résultat, avec un logiciel indétectable et qui peut se répandre comme un virus informatique (en moins d’une minute et sans clef).

3°) Pour ce qui est des machines Nedap, largement utilisées en France, voir la démonstration de chercheurs hollandais dans un reportage de i-télé (en français !).

4°) La synthèse, très accessible aux non techniciens, de David Monniaux.

5°) L’enquête de Science et Avenir d’avril 2007.

En conséquence de cette impossibilité de garantir les éléments fondamentaux du vote, l’Irlande abandonne en ce moment ces techniques de vote. Les machines Nedap, qui équipent 80 % des villes ayant adopté le vote électronique en France, ont été mises au rebut, dans ce pays qui y avait pourtant consacré un budget de 50 M$.

L’Italie en a fait de même après des suspicions de fraude.

L’expérience de la Belgique montre qu’elles sont de surcroît plus lentes et plus chères que le vote papier.

Il faut y ajouter, au plan ergonomique, que la façon de concevoir l’interface de la machine peut aussi biaiser les votes.

4. Un consensus étrange entre institutions pour jeter un voile pudique sur ces problèmes à la veille d’élections majeures

La centaine de communes, regroupant plus d’un million d’électeurs, ayant décidé de dépasser l’expérimentation et de recourir aux machines à voter en substitut du vote papier n’avaient pas donné de large publicité à leurs décisions durant les trois dernières années.

Le Conseil constitutionnel a cru bon de publier en catastrophe un communiqué laconique le 29 mars 2007 rappelant tout d’abord que "l’utilisation des machines à voter pour les élections, notamment présidentielles, est autorisée par le législateur depuis 1969", ce qui est un fait historique ; et ensuite que "Ce recours aux machines à voter dans les conditions fixées par l’article L. 57-1 du Code électoral a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel", ce qui est au mieux une approximation, au pire une tentative de couper court à un soupçon qui pourrait bien s’étendre sur la transparence et la sincérité des votes qui seront émis en 2007.
Il y ajoute une "fiche technique" qui ne répond nullement (voir notre article) aux graves failles révélées par les expertises citées ci-dessus. Ce communiqué n’a aucune valeur juridique.

Sans aucun doute les ordinateurs de vote font peser sur les scrutins un soupçon d’obscurité et de fraude qui constitue une menace pour la légitimité de l’expression de la volonté démocratique. Il n’y a aucune raison d’accepter la mise en place d’une modalité de vote qui s’avère plus risquée que celle que nous pratiquons avec un savoir faire séculaire, qui a progressivement réduit les occasions de fraude et accru la possiblité de les prévenir et de les détecter. En dehors de son caractère inopportun voire néfaste, il suffit d’ailleurs d’invoquer l’inégalité qui résulte de l’application à une partie de la population d’une modalité de vote expertisée comme présentant un risque bien supérieur à l’autre.

5. Il n’est pas trop tard pour réagir

1°) Faire respecter les procédures minimales

Un chercheur en informatique a eu la bonne idée de se porter volontaire comme vice-président d’un bureau de vote à Issy-les-Moulineaux. Il a répertorié toutes les irrégularités internes aux procédures actuelles. Chaque vice-président ou assesseur peut s’en inspirer pour essayer de faire respecter au moins les spécifications, même insuffisantes, de mise en oeuvre de ces machines.
En passant, ce rapport montre que la complexité de mise en oeuvre est telle qu’elle constitue déjà en elle-même une dépossession des électeurs de leur maîtrise sur les actes de vote et de dépouillement.

2°) Déposer des réclamations

Tout citoyen qui a été forcé à utiliser une machine à voter et qui pense que cette modalité de vote est vulnérable au point de compromettre la sincérité du vote, opaque au point de déposséder l’électeur de son pouvoir de contrôle, inégalitaire en pesant sur une partie des voix exprimées alors que les autres bénéficient du vote papier, devrait déposer une réclamation, après avoir voté, auprès du président de son bureau de vote. Des formulaires très simples ont été élaborés par Nicolas Barcet. Cette réclamation est une condition nécessaire pour développer ensuite un recours devant le juge électoral.
Ce recours, rappelons-le, est gratuit et jugé rapidement. Plus il y aura de réclamations, plus le juge sera obligé de prendre en compte le discrédit que les machines à voter jettent sur l’expression de la volonté démocratique.

De même, à partir du moment où il n’est pas contestable que les machines à voter constituent une modalité de vote plus vulnérable que le vote papier, l’usage des deux modalités induit une inégalité injustifiée entre des membres du même corps électoral. Tout citoyen votant avec des bulletins papier peut donc déposer une réclamation tendant à contester que sa voix soit, par la remontée du décompte de son bureau de vote, mélangée ultérieurement à celles d’autres bureaux de vote utilisant les machines à voter.


Documents joints

Vote électronique

21 mars 2007
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